Feu de Forêt aux Monts Groulx – 2013

Par Guy Boudreau

Le 5 juillet 2013.  J’étais aux monts Groulx lorsqu’un éclair a déclenché un feu de forêt. Arrivé sur les lieux depuis seulement une journée, je prévoyais y passer l’été pour avancer les travaux de construction de mon camp.

Cette journée commence à 4h00 du matin lorsqu’un coup de tonnerre retentissant me tire de mon sommeil. Craignant un déluge dans ma voiture, je me lève, m’habille et entreprend une petite marche de 500 mètres pour aller fermer les vitres laissées entre ouverte.

Durant plusieurs minutes, les éclairs et le tonnerre s’imposent en trame sonore dans mon petit paradis. Malheureusement, la pluie ne se présente pas, laissant le sol et la végétation s’assécher davantage. De retour au camp, je réussi à me rendormir. À 5h30, je me réveille à nouveau pour entamer véritablement cette journée inattendue.

Ce n’est que vers 9h00 que je crois apercevoir de la fumée au loin, derrière une montagne. Mais celle-ci est très subtile, au point de me faire douter qu’il s’agit bel et bien d’un feu.

À 11h00, il n’y a plus aucun doute dans mon esprit. Je place un premier appel à la SQ par l’intermédiaire du téléphone SOS installé en bordure de la route. Je les informe que je vois de la fumée au nord-est du réservoir Manicouagan, à la hauteur du km 366, à l’ouest de la route 389, à une distance évaluée approximativement à 8 kilomètres. Puisque celle-ci est de l’autre côté d’une montagne, je n’aperçois aucune flamme.

(J’apprendrai plus tard que les équipes de la SOPFEU ne se mettent en branle que s’ils reçoivent un signalement de flammes et non de fumée.)

Étant donné la distance et la direction des vents qui sont nord-est, la situation ne me semble pas dangereuse au point de nécessiter notre évacuation. Le feu semble s’éloigner. Malgré tout, nous restons aux aguets mon voisin Michel et moi, afin de partir si cela s’avère nécessaire.

Vers 13h00, la situation devient critique. Je vois maintenant des flammes à moins de 5 kilomètres. Je place donc un 2e appel à la SQ et ceux-ci me mettent cette fois en contact avec la SOPFEU. Je leur fais état de la situation.

On m’informe qu’un hélicoptère est en route. Je conviens avec eux d’aller constater l’étendue du feu par la route 389 avec ma voiture et de les rappeler pour leur donner un compte-rendu.

Vers 13h25, je place mon 3e et dernier appel. J’informe la SOPFEU que selon mon observation, le feu semble s’étendre sur 2 kilomètres à partir du km 366. Au km 368, il est à moins d’un kilomètre de la route. Les vents sont en direction nord-est et des particules brûlées commencent à tomber sur la route. La seule voie terrestre qui mène à Fermont va devoir être fermée très prochainement.

Après la SOPFEU, on me met en communication avec la SQ de Fermont. On désire savoir s’il y a des camps occupés dans la région. À ma connaissance, il y a au moins 3 camps sur 7 dont les occupants sont sur place. Le mien, celui de Michel Denis et un autre en construction situé plus au sud, au km 362.

Celui qui m’inquiète est un camp situé juste au sud du feu à l’ouest de la route. Je ne sais pas si les propriétaires sont sur place. Je souhaite de tout cœur qu’ils puissent voir la fumée afin d’évacuer.

Avant de terminer la communication avec la SQ de Fermont, je conviens avec eux d’un rendez-vous avec les 2 patrouilleurs qui sont en route. Ce rendez-vous est fixé pour 15h30 à l’endroit même où je me trouve actuellement, soit dans le stationnement du km 365.

Il est 13h30. À partir de ce moment, les événements se bousculent. Le rendez-vous avec les policiers n’aura jamais lieu.

Après avoir raccroché, je retourne à mon campement dans le but de ramener quelques affaires à ma voiture, au cas où…

Une fois arrivée à mon camp, je constate que le vent a soudainement changé de direction. Il souffle à présent en direction est.  Le feu qui progresse rapidement, est à moins de deux kilomètres de la route et avance maintenant en ma direction.

Malgré que la situation soit devenue critique, je considère que j’ai le temps de me rendre chez mon voisin Michel qui n’est qu’à 150 mètres, pour lui dire d’évacuer, puis de revenir rapidement à mon camp pour partir avec quelques effets personnels.

Surprise ! Ni lui, ni son amie Nad ne semblent là. N’ayant pas de réponse je reviens à toute vitesse à mon camp croyant qu’ils ont déjà évacué.

(Ce que j’ignore à ce moment, c’est que Nad et sa petite fille qui étaient venus passer deux semaines en vacance au camp de Michel, sont couchés au 2e étage. Elles ne m’ont pas entendu. Michel quant à lui, est parti sur la route constater l’étendu du feu avec Yves et Allyson. Ces derniers ayant entendu parler de l’incendie au Relais Gabriel, avaient décidé de monter voir Michel pour s’assurer que tout allait bien lui)

De retour à mon camp, je constate que le feu s’est dangereusement rapproché. J’avais invraisemblablement sous-estimé sa vitesse de progression. Il semble être à présent tout près de la route, soit à moins kilomètre d’où je me trouve.  Je ne prends alors que 2 petits sacs et mon fusil, puis j’évacue à toute vitesse.

Je cours dans mon sentier en direction du feu pour rejoindre ma voiture qui est stationnée à 500 mètres. J’aperçois le mur de flammes au loin à travers la forêt que je dois franchir mais je ne cesse de courir. J’ai les jambes lourdes. Je suis fatigué. Je suis stressé. Ma course est difficile et ralentie par mes sacs et mon fusil qui ballottent continuellement.

Je décide de me débarrasser de mon 12 en le lançant dans la forêt afin de pouvoir courir plus facilement. Je cours le plus vite que je peux malgré mon épuisement et malgré la peur. J’ai très peur. J’entends le son du feu. Un grondement assourdissant qui à lui seul est terrifiant. Les flammes, deux fois la hauteur des arbres, me semblent tellement proches que je crains que ma voiture ne soit enflammée.

Malgré cette impression, je cours tout de même en direction du feu puisque j’ai le sentiment que c’est ma meilleure porte de sortie. De toute façon, la tension est tellement élevée que je ne peux me mettre en mode analyse. Je ne peux faire autrement que de me laisse guider par ce que je ressens.  Et ça me dit : Cours vers ta voiture.

J’arrive enfin à mon véhicule. Les flammes sont en face de moi à moins de 150 mètres. Elles ont commencé à traverser la 389 et à sauter la rivière Beaupin.

Je démarre et avance encore une fois vers les flammes afin de rejoindre la route. La fumée commence à obstruer la visibilité du chemin. Je fonce à toute allure en direction sud, jusqu’au stationnement du km 365. Malgré le stress intense que je ressens toujours, je sais à présent que je ne suis plus en danger. Je m’en suis tiré…

Mais je m’inquiète à présent pour mon ami Michel, Nad et sa petite fille de 2 ans. Ils semblent toujours dans la forêt. Soudain, j’aperçois Yves qui sort du bois.  Il est suivi d’Allyson qui porte dans ses bras la petite fille qui pleure. Quelques secondes plus tard, Nad sort elle aussi de la forêt. Mais Michel est toujours absent.

Yves m’informe qu’il est parti me chercher à mon campement.

FUCK!!!    (À vouloir s’aider mutuellement, on s’est mis en danger…)

Les flammes ont rejoint la route en face du stationnement où nous nous trouvons. Le feu commence à traverser la 389 et à enflammer les bordures du sentier qui mène au camp de Michel.

La fumée très dense est à quelques mètres de nous et recouvre complètement la route vers le nord. Le petit tronçon de 500 mètres que j’ai emprunté il y a à peine 5 minutes, est maintenant complètement obstrué. Je suis vraiment sorti à temps !

Nous ne pouvons retourner dans la forêt. C’est trop risqué. Michel doit sortir par lui-même. Je klaxonne pour l’informer de revenir au plus vite. Les secondes sont longues… Puis, nous l’apercevons qui arrive en courant. Nous embarquons dans nos véhicules et quittons les lieux en direction sud pendant que les avions citernes volent au-dessus du secteur et arrosent le feu.

Nous nous arrêtons quelques kilomètres plus loin pour observer la scène. La fumée recouvre à présent tout l’horizon nord et le feu se propage vers l’est.

Michel et moi sommes certains que nos camps seront emportés par les flammes. Malgré ce fait désolant, nous sommes simplement heureux de nous en être sortis vivants. Nos installations n’ont guère d’importance face à la vie qui nous anime toujours.

Impuissants, nous continuons notre route pour nous rendre au Relais Gabriel. Nous hébergeons chez Yves qui nous a offert généreusement l’hospitalité.

Le lendemain matin à 5h00, avant que la SOPFEU bloque la route, nous retournons sur les lieux. La forêt entourant la rivière Beaupin dans le secteur du pont, est complètement brûlée.

Nous stationnons nos véhicules au km 365 et empruntons le sentier de Michel pour nous rendre à son camp. Plus nous entrons dans la forêt, moins celle-ci semble brûlée.

Incroyable ! Son camp est intact.

Je traverse le ruisseau et me dirige vers mes installations.

Wow ! Mon camp en construction est toujours debout. Puis je marche vers ma tente prospecteur qui me sert de camp de base. Je suis stupéfait. Le feu s’est arrêté juste derrière, à 30 centimètres.

On réalise que le sol est humide. Les avions de la SOPFEU ont réussi à stopper la propagation de l’incendie dans notre secteur.

Mais la forêt fume toujours. Elle fume de partout comme s’il y a des centaines et des centaines de feux de camp non éteint. À l’aide de seaux d’eau, j’entreprends d’éteindre les foyers qui se trouvent en bordure de ma tente. Après 2 heures, je suis épuisé. De plus, je crains que le vent se lève et réactive les milliers de brasiers. Je crains également que la fumée ne se densifie au point de m’empêcher de sortir de la forêt ou même de respirer convenablement.

Je quitte donc les lieux en amenant quelques affaires tout en étant relativement rassuré puisque le vent est léger et souffle dans une direction non menaçante, vers le nord.

J’aperçois à travers le brouillard de fumée qui couvre le ciel, deux hélicoptères de la SOPFEU. Ils survolent à très basse altitude les environs. Je leur fais signe que je suis OK, j’embarque dans ma voiture et je retourne au Relais Gabriel.

La route étant fermée à la circulation et le secteur de mon camp n’étant pas sécuritaire pour l’instant, je décide de retourner à la maison pour serrer dans mes bras ma chère Marie-France.

Au moment d’écrire ces lignes (13 juillet 2013), le feu est toujours en activité et progresse lentement vers le nord, tout en étant contenu par la SOPFEU. De plus, je n’ai reçu aucune nouvelle officielle de ce qui est advenu des autres camps à proximité. De mon côté, je suis paisiblement à la maison à préparer mon retour aux monts Groulx, tout en appréciant… La vie.

Quelques semaines plus tard – Le feu aura ravagé 10 000 hectares de forêt et retenu l’équipe de la SOPFEU (150 personnes + 12 hélicoptères) durant 1 mois.